Comme son nom l'indique, la majeure partie du film se déroule à bord d'un train Indien. « J'ai toujours voulu faire un film dans un train parce que j'aime beaucoup l'idée d'un cadre dramatique constamment en mouvement »*, souligne Wes Anderson,scénariste et réalisateur du film. Ce moyen de transport a effectivement, et ce dès les débuts du septième art, toujours attiré les cinéastes. De l'arrivée du train en gare de la Ciotat des frères Lumières(1895) au crime de l'orient Express de Sidney Lumet(1975), l'univers ferroviaire(via la vitesse, le découpage du décor en compartiment, le changement d'univers...) a toujours offert un contexte approprié au drame. Ici, bien que le scénario soit écrit sur le ton de la comédie, il s'agit bien d'un drame puisque Anderson met en scène une fratrie déchirée. Le pari de ne rien tourner en studio est intéressant: le mouvement n'est pas seulement suggéré par le décor de fond(le train), mais bien ressenti à l'écran via la vitesse du
train en marche dans lequel a été effectué le tournage. D'emblée, il faut noter l'adresse artistique de l'équipe qui a du faire face aux contraintes techniques et logistiques inhérentes à ce lieu atypique de tournage. Le directeur de la photographie, Robert D. Yeoman, le confesse: « tourner dans un train est extrêmement difficile. Nous ne pouvions rien fixer sur le toit et aucun équipement ne pouvait sortir à plus d'un mètre des wagons à cause des poteaux télégraphiques et des arbres qui bordaient la voie. La disposition des lumières était aussi un vrai casse-tête »*. Et malgré ces obstacles spatiaux, ni les mouvements de caméras(travellings, zooms manuels...), ni les angles de prise de vue(plongée/contre-plongée, champ/contre-champ...), ni la variété des cadrages n'en ont pâtit. Au contraire, ils sont nombreux et soignés: Anderson arrive à créer de l'espace. De même, le chef décorateur, Mark Friedberg, et autres membres de l'équipe, ont du s'adapter à ce tournage atypique(pas de loges pour la
maquilleuse, costumiers...).
Outre cet aspect technique, le jeu neutre des acteurs, l'humour très spécial du scénario et la bande-originale décalée, le tout dans un univers indien très kitsch participent à l'ambiance d'absurdité, caractéristique du cinéma de W. Anderson. En effet, le réalisateur a l'habitude de tourner avec les mêmes acteurs. Anderson n'a pas renouvelé ici le casting par rapport à ses derniers longs-métrages(seul Adrien Brody n'avait jamais travaillé avec lui). Les acteurs connaissent donc les attentes spécifiques d'Anderson en matière d'interprétation, et s'y plient volontiers: un comique absurde doit se dégager de leur jeu. En effet, ces acteurs avaient pour indication de jouer leur rôle d'une façon détachée dans les scènes graves(la noyade du petit indien par exemple). Adrien Brody évoque la direction d'acteur
de Wes Anderson: « Dans la scène de la rivière, les indications que me donnait Wes Anderson étaient complètement à l'opposé de ce que j'aurai fait en temps normal. Je devais paraître presque absent, sans émotion visible et parfaitement neutre, un jeu très différent de ce que j'envisageais de faire.* » Les visages sans expression troublent alors le spectateur et participent à transmettre une vision à la fois triste et absurde de la situation renvoyant à l'incapacité d'action du personnage. De même, l'humour de Wes Anderson renvoie à des scènes absurdes à l'instar de l'apparition de Bill Murray, comédien vedette de la vie aquatique, qui court après le train dans la première séquence du film, le rate et ne reparaît plus à l'écran! La bande annonce rentre aussi dans cet esprit d'un monde absurde, alternant des genres de musiques variés (Rolling Stones, Debussy...)auquels on ne s'attend pas toujours(Joe Dassin pour le générique de fin par exemple). Plus généralement, l'aspect kitsch de l'
environnement Indien (tenues vestimentaires, architecture de palais, intérieur du train...), rehaussé par un effort sur les jeux de couleurs(le bleu turquoise du train pour ne citer que ce coloris...), contraste avec l'occidentalisme des protagonistes participant ainsi à monter l'absurdité de la situation dans laquelle se retrouvent les trois personnages.
Cela-dit, W.Anderson tombe dans certains écueils. Certaines métaphores trop grossières, contrastent par rapport à la finesse avec laquelle est développé, tout au long du film, le côté absurde de la vie. Par exemple, les valises du père Withman que les fils laissent sur place dans la dernière séquence, symbolisent trop platement que les trois garçons ont fait le deuil de leur père et qu'ils peuvent à nouveau aller de l'avant.
La famille est sans aucun doute le thème de prédilection de Wes Anderson. Après Rushmore(1999), la famille Tenebaum(2002) et la vie aquatique(2005), trois de ses films traitant des relations familiales, Anderson se focalise ici sur les relations fraternelles. Il évoque sans jamais la montrer l'importance de la figure du patriarche dans une famille. Les liens se sont en effet visiblement distendus depuis la mort du père de famille un an auparavant, dont les frères Withman n'ont toujours pas réussi à faire le deuil. Francis s'essaie d'ailleurs dans ce rôle pilier du paternel. Son but: ressouder sa famille avant qu'il ne soit trop tard. Certes, Anderson fait de la famille une valeur précieuse; certes, il montre la nécessité de dépasser l'aisance matérielle dont ces personnages jouissent(ceinture à 6000 dollars, valises Louis Vuitton...) qui ne les pas heureux...
Mais la voie prônée pour aboutir à ce dessein (une quête
spirituelle), est rapidement tournée en dérision. On tend vers une quête spirituelle de pacotille. Si les trois hommes mettent en pratique les rites religieux hindous, ils le font de manière désinvolte et risible: le port du tilak(point rouge indien, la prière dans les temples hindous, la scène de la libération d'une plume de paon...). La religion (peut-être parce qu'il s'agit ici d'un recours forcé à la religion), est présentée comme un vulgaire outil -cantonnée à un artifice tout comme les médicaments absorbés par les personnages- en charge de servir leur dessein: « redevenir frères ». Si le pari de Francis-retrouver des relations fraternelles- est réussi, ce n'est donc pas grâce à une véritable réflexion, à la recherche d'un sens à leur existence et d'un absolu via cette quête spirituelle, mais seulement parce qu'ils ont pris le temps de vivre ensemble, de partager un moment de leur vie. C'est finalement seulement un regard emprunt d'absurdité qu' Anderson porte sur la vie en générale, sur les
relations humaines et plus précisément sur le moyen d'accéder à la fraternité. Anderson est cohérent avec sa façon de filmer mais délivre un message plutôt cynique ou la morale n'a pas vraiment de place.
Emily ROWE
*in notes de production
Comme son nom l'indique, la majeure partie du film se déroule à bord d'un train Indien. « J'ai toujours voulu faire un film dans un train parce que j'aime beaucoup l'idée d'un cadre dramatique constamment en mouvement »*, souligne Wes Anderson,scénariste et réalisateur du film. Ce moyen de transport a effectivement, et ce dès les débuts du septième art, toujours attiré les cinéastes. De l'arrivée du train en gare de la Ciotat des frères Lumières(1895) au crime de l'orient Express de Sidney Lumet(1975), l'univers ferroviaire(via la vitesse, le découpage du décor en compartiment, le changement d'univers...) a toujours offert un contexte approprié au drame. Ici, bien que le scénario soit écrit sur le ton de la comédie, il s'agit bien d'un drame puisque Anderson met en scène une fratrie déchirée. Le pari de ne rien tourner en studio est intéressant: le mouvement n'est pas seulement suggéré par le décor de fond(le train), mais bien ressenti à l'écran via la vitesse du
train en marche dans lequel a été effectué le tournage. D'emblée, il faut noter l'adresse artistique de l'équipe qui a du faire face aux contraintes techniques et logistiques inhérentes à ce lieu atypique de tournage. Le directeur de la photographie, Robert D. Yeoman, le confesse: « tourner dans un train est extrêmement difficile. Nous ne pouvions rien fixer sur le toit et aucun équipement ne pouvait sortir à plus d'un mètre des wagons à cause des poteaux télégraphiques et des arbres qui bordaient la voie. La disposition des lumières était aussi un vrai casse-tête »*. Et malgré ces obstacles spatiaux, ni les mouvements de caméras(travellings, zooms manuels...), ni les angles de prise de vue(plongée/contre-plongée, champ/contre-champ...), ni la variété des cadrages n'en ont pâtit. Au contraire, ils sont nombreux et soignés: Anderson arrive à créer de l'espace. De même, le chef décorateur, Mark Friedberg, et autres membres de l'équipe, ont du s'adapter à ce tournage atypique(pas de loges pour la
maquilleuse, costumiers...).
Outre cet aspect technique, le jeu neutre des acteurs, l'humour très spécial du scénario et la bande-originale décalée, le tout dans un univers indien très kitsch participent à l'ambiance d'absurdité, caractéristique du cinéma de W. Anderson. En effet, le réalisateur a l'habitude de tourner avec les mêmes acteurs. Anderson n'a pas renouvelé ici le casting par rapport à ses derniers longs-métrages(seul Adrien Brody n'avait jamais travaillé avec lui). Les acteurs connaissent donc les attentes spécifiques d'Anderson en matière d'interprétation, et s'y plient volontiers: un comique absurde doit se dégager de leur jeu. En effet, ces acteurs avaient pour indication de jouer leur rôle d'une façon détachée dans les scènes graves(la noyade du petit indien par exemple). Adrien Brody évoque la direction d'acteur
de Wes Anderson: « Dans la scène de la rivière, les indications que me donnait Wes Anderson étaient complètement à l'opposé de ce que j'aurai fait en temps normal. Je devais paraître presque absent, sans émotion visible et parfaitement neutre, un jeu très différent de ce que j'envisageais de faire.* » Les visages sans expression troublent alors le spectateur et participent à transmettre une vision à la fois triste et absurde de la situation renvoyant à l'incapacité d'action du personnage. De même, l'humour de Wes Anderson renvoie à des scènes absurdes à l'instar de l'apparition de Bill Murray, comédien vedette de la vie aquatique, qui court après le train dans la première séquence du film, le rate et ne reparaît plus à l'écran! La bande annonce rentre aussi dans cet esprit d'un monde absurde, alternant des genres de musiques variés (Rolling Stones, Debussy...)auquels on ne s'attend pas toujours(Joe Dassin pour le générique de fin par exemple). Plus généralement, l'aspect kitsch de l'
environnement Indien (tenues vestimentaires, architecture de palais, intérieur du train...), rehaussé par un effort sur les jeux de couleurs(le bleu turquoise du train pour ne citer que ce coloris...), contraste avec l'occidentalisme des protagonistes participant ainsi à monter l'absurdité de la situation dans laquelle se retrouvent les trois personnages.
Cela-dit, W.Anderson tombe dans certains écueils. Certaines métaphores trop grossières, contrastent par rapport à la finesse avec laquelle est développé, tout au long du film, le côté absurde de la vie. Par exemple, les valises du père Withman que les fils laissent sur place dans la dernière séquence, symbolisent trop platement que les trois garçons ont fait le deuil de leur père et qu'ils peuvent à nouveau aller de l'avant.
La famille est sans aucun doute le thème de prédilection de Wes Anderson. Après Rushmore(1999), la famille Tenebaum(2002) et la vie aquatique(2005), trois de ses films traitant des relations familiales, Anderson se focalise ici sur les relations fraternelles. Il évoque sans jamais la montrer l'importance de la figure du patriarche dans une famille. Les liens se sont en effet visiblement distendus depuis la mort du père de famille un an auparavant, dont les frères Withman n'ont toujours pas réussi à faire le deuil. Francis s'essaie d'ailleurs dans ce rôle pilier du paternel. Son but: ressouder sa famille avant qu'il ne soit trop tard. Certes, Anderson fait de la famille une valeur précieuse; certes, il montre la nécessité de dépasser l'aisance matérielle dont ces personnages jouissent(ceinture à 6000 dollars, valises Louis Vuitton...) qui ne les pas heureux...
Mais la voie prônée pour aboutir à ce dessein (une quête
spirituelle), est rapidement tournée en dérision. On tend vers une quête spirituelle de pacotille. Si les trois hommes mettent en pratique les rites religieux hindous, ils le font de manière désinvolte et risible: le port du tilak(point rouge indien, la prière dans les temples hindous, la scène de la libération d'une plume de paon...). La religion (peut-être parce qu'il s'agit ici d'un recours forcé à la religion), est présentée comme un vulgaire outil -cantonnée à un artifice tout comme les médicaments absorbés par les personnages- en charge de servir leur dessein: « redevenir frères ». Si le pari de Francis-retrouver des relations fraternelles- est réussi, ce n'est donc pas grâce à une véritable réflexion, à la recherche d'un sens à leur existence et d'un absolu via cette quête spirituelle, mais seulement parce qu'ils ont pris le temps de vivre ensemble, de partager un moment de leur vie. C'est finalement seulement un regard emprunt d'absurdité qu' Anderson porte sur la vie en générale, sur les
relations humaines et plus précisément sur le moyen d'accéder à la fraternité. Anderson est cohérent avec sa façon de filmer mais délivre un message plutôt cynique ou la morale n'a pas vraiment de place.
*in notes de production