Les Voyages de Gulliver

Film : Les Voyages de Gulliver (2010)

Réalisateur : Rob Letterman

Acteurs : Jack Black (Lemuel Gulliver), Jason Segel (Horatio), Emily Blunt (Princesse Mary) et Amanda Peet (Darcy Silverman)... .

Durée : 01:25:00


Une comédie très très simple, qui ne suit que de très loin l'œuvre de John Swift mais parvient à se rendre drôle, malgré quelques rares vulgarités.
Évidemment il ne faut pas s'attendre à une adaptation fidèle du roman de John Swift (1721), même si les grands traits sont respectés.

L'histoire d'un voyageur qui se retrouve dans un
autre monde est aussi séduisante au XXIe siècle qu'au XVIIIe, ce qui en fait une histoire dont l'intemporalité est tout à fait assumée par le producteur John Davis : « Un de nos principaux objectifs était de faire en sorte que le public puisse croire à l’existence de Lilliput. Nous voulions les emmener dans ce monde en même temps que Gulliver. » (in Dossier de presse). A l'instar de Wild Wild West (de Barry Sonnenfeld en 1999), personne n'est ainsi étonné de voir des robots géants dans une époque victorienne. « L’idée était de créer un robot à l’aspect moderne actionné par une technologie de l’ère victorienne. Cela nous a inspiré les aspects les plus mécaniques du robot comme ses engrenages et son système de poulies. Nous avions même pensé utiliser l’énergie de la vapeur, comme une vieille locomotive, mais nous avons abandonné l’idée à cause du désordre visuel que cela provoquait. Nous avons préféré un aspect plus simple et plus
net. »
(Erik Liles, concepteur du robot, in Dossier de presse).

Gulliver est, dans le film, directement arrivé de « beaufland. » Son ambition : rester le maître du service courrier. Son fantasme, une femme rédactrice en chef, dans un journal où il travaille. Sa déception : c'est un perdant. Un grand perdant introverti à la vie insignifiante. Comme dans toute comédie bien américaine, son aventure va lui permettre de gagner en confiance et même de savoir conquérir sa dulcinée. Et comme dans toute comédie bien américaine avec Jack Black, l'histoire est celle d'un gros bonhomme aussi ordinaire que sympathique, graisseux et mal dans sa peau.

Mis à part le fait même que le Triangle des Bermudes soit un passage vers un monde de petits hommes, on sent bien que le film mise surtout sur les effets spéciaux, tellement son scénario est plein d'invraisemblances (en sept jours seulement, les habitants de Lilliput construisent une immense villa pour Gulliver). Mais qu'à cela ne tienne : le public rigole alors que demander de plus ?

Le passage de notre protagoniste dans le monde des Lilliputiens se fait en deux temps.

Il va d'abord tirer le plus agréable parti de sa popularité. Rob Letterman, le réalisateur, s'explique dans le dossier de presse : « A New York, Gulliver se sent tout petit. Il a envie de faire de grandes choses, mais il a peur de
se lancer. Quand il arrive à Lilliput, il prend confiance en lui et commence à se sentir important, mais c’est un sentiment basé sur des mensonges. »
Servi comme un roi, comblé de toutes les facilités, il ne lui manquera guère que l'amour de sa vie pour que son bonheur soit complet. Il ment à ses tous petits amis, s'invente un passé glorieux, et passe pour être le Président de son monde.

Évidemment, cette bulle dorée finira par éclater face à l'adversité. Obligé de choisir entre son tempérament indolent et son désir d'être quelqu'un, poussé par son ardeur à sauver celle qu'il aime, il va donc choisir la voie du fait d'arme, et le voilà quelqu'un d'autre.

Une deuxième lecture constatera que cette transformation intérieure
n'est pas le seul message du film. Aussi longtemps que la pellicule défile, Gulliver participe en effet à la transformation de cette société lilliputienne imaginée archaïque. Tous les poncifs sont abordées : l'amour de raison, les conventions de langage, la mode vestimentaire, etc.

La princesse en effet, souffre d'être convoitée par le général responsable de l'emprisonnement de son amant. Celui-ci vient lui faire sa cour quotidiennement et impose durement le respect de la loi lilliputienne : deux personnes de classes sociales différentes ne peuvent s'aimer. Gulliver va utiliser son prestige pour faire voler toutes ces conventions en éclats, et jouer les Cyrano pour l'amoureux délivré. On peut noter au passage un grand nombre de références culturelles les plus diverses. Outre celles faites à l'œuvre d'Edmond Rostand, on remarquera également les chansons
du groupe Kiss, d'Edwin Starr (pour faire, selon le dossier de presse, écho aux accents anti-guerre de l'œuvre littéraire) ou de bien d'autres.

Le film se moque au passage des conventions de langage lilliputiennes en fustigeant au passage le général Edward « Edward voit son monde complètement bouleversé par l’arrivée de Gulliver, et cela le rend méchant. Edward est très pompeux et protocolaire, il pense que tout doit se faire selon les règles. Il est donc très ennuyé de voir tout le monde suivre Gulliver. » L'utilisation des « assiez » à la fin de tous les verbes et surtout lorsque c'est mal à propos rend effectivement le propos du général très ridicule. Cette caricature des subjonctifs imparfaits et plus-que-parfaits ne doit pas faire oublier que ces deux temps ont une réelle utilité, puisqu'ils sont les seuls à pouvoir rendre compte d'une action
possible ou envisagée dans le passé pour le premier, et d'une action qui a été possible ou envisagée dans le passé pour le second. Comme aucune autre forme de langage ne peut exprimer ces deux idées avec autant de justesse et sans infinies périphrases, il s'agit d'une précision chirurgicale dans l'expression et, donc, dans la pensée. L'extrême justesse du propos étant indispensable mais réservée aux spécialistes, on comprend que cela puisse faire rire le peuple, mais on pourrait attendre d'une œuvre culturelle qu'elle tire ce même peuple vers le haut.


Raphaël Jodeau