Ponette

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RÉSERVES

Une très légère réserve concerne une certaine difficulté de compréhension des dialogues dits par les enfants. Mais, outre le fait que l'on s'y habitue très vite, dans la réalité, il faut toujours faire un effort particulier d'attention pour comprendre les petits enfants.
Cette histoire met en relief la démission actuelle des adultes face aux enfants. Non seulement ils agissent comme si cela n'avait aucune importance de donner des réponses différentes, voire contradictoires aux questions qu'un enfant se pose, mais ils semblent croire que celui-ci peut trouver tout seul lesdites réponses. Or, pour construire sa personnalité d'adulte, l'enfant a besoin de réponses claires et cohérentes, quitte à les rejeter plus tard. Dans ce film, Ponette navigue entre des conceptions radicalement opposées, quand elle ne se retrouve pas toute seule face à ses interrogations dans un domaine aussi capital que celui de la mort et de l'au-delà. C'est sans doute l'une des caractéristiques les plus dramatiques de notre société qui veut conférer aux enfants une autonomie  et une liberté de pensée qu'ils n'ont pas encore appris à atteindre. Si la petite héroïne s'en sort assez bien, c'est parce qu'elle a une personnalité et une intelligence hors du commun.


CENTRES D'INTÉRÊT

Sur le plan technique

Le sujet est d'une grande originalité. Jamais, sauf pour réaliser un mélo, un cinéaste n'avait abordé, avec autant de respect et de profondeur, ce thème du petit enfant confronté à la mort.
La construction dramatique, qui semble un peu lâche, est en réalité très progressive. L'histoire suit fidèlement la détermination de la petite Ponette, avec quelques moments très forts, d'autres plus légers.
Les prises de vues sont toujours situées à hauteur d'enfant, ce qui donne une couleur très particulière au film. Tout est vu avec les yeux de ces petits enfants.
De nombreux gros plans, voire de très gros plans, cernent les visages des enfants et permettent de capter le moindre frémissement de joie, de tristesse, etc.
De la même façon, les nombreuses contre-plongées sur le visage des adultes (le père, la tante, la mère) expriment bien le point de vue de Ponette. C'est d'autant plus intéressant que l'on ne perçoit, à aucun moment, qu'elle se sent écrasée par cette vision d'en bas. Bien au contraire, elle écoute, elle accueille ce qui lui est dit par l'adulte, mais elle ne semble jamais impressionnée par cette image déformée et supérieure (comme pour n'importe quel enfant) de l'adulte.
De nombreuses touches d'humour viennent détendre un peu l'atmosphère. Avec un sujet aussi douloureux, ces séquences, parfois d'une franche drôlerie (comme les nombreuses discussions entre enfants), permettent quelques moments de détente. C'est également ce qui se produit avec les enfants, qui passent du rire aux larmes avec une déconcertante facilité. Ils n'ont pas encore appris à accumuler sans répit des couches successives de souffrances, comme le font les adultes. Avec légèreté, avec grâce, ils savent vivre pleinement l'instant présent, en oubliant presque la douleur de l'instant précédent.
Les dialogues sont d'une extraordinaire authenticité. Jamais, ni au cinéma ni à la télévision, on n'a entendu des dialogues d'enfants aussi criants de vérité.
Enfin l'interprétation est stupéfiante. Dans la plupart des films mettant en scène des enfants, le réalisateur se contente de capter leur naturel et leur spontanéité. Ici, il y a tout cela, avec, en plus (et cela est visible dans chaque scène), un réel travail de comédien et une émouvante complicité entre les enfants et le réalisateur. Inutile de dire que la jeune Victoire Thivisol est étonnante de naturel et de finesse et a amplement mérité son prix d'interprétation à Venise.
Certaines personnes se sont émues de ce que l'on puisse faire interpréter un rôle aussi dramatique à une enfant aussi jeune. Là encore, toutes les précautions ont été prises par le réalisateur. Outre le plein accord des parents, leur présence et celle des enseignants, le tournage a été continuellement suivi par une psychanalyste pour enfants. Celle-ci déclare : «Elle (Victoire) ne s'est jamais prise pour Ponette (...) Si Victoire joue si bien Ponette, c'est parce qu'elle sait, elle, qu'elle ne l'est pas». Et, après tout, les enfants ne jouent-ils pas en permanence à se tuer, à faire le mort, à être une autre, un enfant abandonné, adopté, etc. Ne s'inventent-ils pas parfois des histoires tristes qui les font pleurer ?


Sur le plan humain


La particularité de ce film, ce qui lui confère cette qualité si rare, c'est cette immersion dans le monde de l'enfance. On ne se trouve pas en présence d'un film d'adultes qui fait parler et met en scène des enfants. On plonge dans le monde de la petite enfance. C'est probablement la raison pour laquelle on sort de la salle obscure encore imprégné de cette grâce et de cette légèreté (malgré la dureté du sujet) si caractéristiques de l'enfance.
L'authenticité des dialogues n'est pas le fait du hasard. Il faut saluer le remarquable travail réalisé par Jacques Doillon et son équipe. Car c'est d'un véritable travail en équipe avec les enfants qu'il s'agit. Pendant cinq à six mois, cinq équipes ont interrogé et filmé des enfants dans des écoles maternelles, en liaison étroite avec les parents et les enseignants. Le sujet était la mort, avec la perception qu'en avaient les enfants. C'est à partir de ce matériau unique que Jacques Doillon a construit son histoire et rédigé ses dialogues. On peut dire que les enfants ont été les codialoguistes du film, avant d'en être les merveilleux interprètes.
Si le sujet est dur, l'histoire est bouleversante. Loin de toute sensiblerie, évitant les pièges de la complaisance (lorsque Ponette pleure, c'est toujours avec retenue et sans en rajouter), Doillon raconte une histoire terrible, profonde et grave, mais aussi porteuse d'une magnifique espérance et d'une belle leçon de vie. Comme s'il voulait nous dire que nous avons beaucoup à apprendre des petits enfants, nous les adultes, si enfermés dans nos certitudes et notre prétendue supériorité.
Au cœur de cette œuvre et du monde de l'enfance, se trouve le lien mystérieux et naturel de l'enfant avec le champ du possible. Pour lui, qui n'a pas encore appris à raisonner, il n'y a pas de frontière entre le domaine du possible et celui de l'impossible. Son désir est plus fort que la réalité. Et parce qu'elle n'est pas encore en mesure d'appréhender rationnellement cette réalité, son imagination n'a pas de bornes. C'est cette liberté, cette créativité de l'enfance qui nous font tant défaut, à nous adultes. C'est la raison pour laquelle de nombreux adultes (les artistes et les contemplatifs) ont la nostalgie de cet âge béni qui ne connaît pas encore d'entraves à son imagination, et cherchent à le retrouver. Cette foi en quelque chose qui nous dépasse n'a pas nécessairement un contenu religieux, c'est une dimension commune à tous les hommes (ou presque). Rappelons-nous le slogan de mai 68 : «Soyez réalistes, demandez l'impossible».
Au-delà de cette connivence avec le monde de l'imaginaire, il y a une relation instinctive de l'enfant avec le surnaturel. Le film montre que la raison ne vient pas parasiter l'élan naturel de l'enfant vers un ailleurs, qu'il peut qualifier de magique, de mystérieux ou clairement identifier comme relevant du surnaturel. Cet âge privilégié de la petite enfance n'a aucune difficulté à plonger dans le mystère insondable de l'au-delà, du surnaturel. En cela, l'enfant vit spontanément la phrase du Christ : «Je Vous bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que Vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et les avez révélées aux petits enfants». Merveilleuse période de la vie que nous renions si facilement, nous persuadant qu'il ne s'agit là que d'un passage, d'un état provisoire, incomplet, inachevé, et que l'idéal de l'homme est de s'éloigner le plus possible de cet âge pour atteindre rapidement la plénitude de l'adulte, avec ce que cela signifie de rationalité, d'intelligence et de maîtrise de soi. L'enfant, lui, n'a pas cet orgueil, il se sait faible, sans connaissances, et, perméable à tout.
En cela, cette œuvre étonnante a une résonance évangélique. Ce n'est pas, d'ailleurs, la moindre de ses qualités que d'être lisible, compréhensible et acceptable pour les croyants et les incroyants. En effet «Demandez et vous recevrez», «Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner à vos enfants de bonnes choses, combien plus votre Père céleste donnera-t-il l'Esprit saint à ceux qui le lui demandent ?», «Le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent (aux petits enfants). En vérité, je vous le dis, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant, n'y entrera point», telles sont les paroles essentielles du Christ qui sont illustrées dans ce film. Les paroles qui devraient nous permettre, si nous parvenons à les mettre réellement en pratique, de suivre l'enseignement du Christ. Mais, encore une fois, ce message du film, même s'il se teinte d'une couleur chrétienne, est parfaitement recevable par un incroyant, qui peut se contenter de n'y voir qu'une illustration de l'universalité du message du Christ et de son extraordinaire compréhension de l'âme de l'enfant, et, partant de là, de l'âme humaine. Tant il est vrai que l'homme ne vaut que par l'enfant qu'il a été ou qu'il est capable de redevenir.


LES PERSONNAGES


Claire, la tante est une femme profondément chrétienne, qui tente de rassurer Ponette en lui expliquant que sa mère est toujours vivante, mais qu'elle est au ciel auprès du Seigneur. Son discours est cohérent et accessible à l'enfant, mais, lorsqu'elle réalise que Ponette passe son temps à réclamer sa mère, elle quitte le domaine surnaturel, prend peur et, avec une certaine brutalité, lui demande d'arrêter de rêver. Malgré sa foi profonde, Claire ne comprend pas, et elle est même effrayée par la force et la puissance du désir (irréaliste pour un adulte) de cette enfant. «Ô, hommes de peu de foi !», disait déjà le Christ.
Les cousins, Delphine et Mathiaz, sont à peine plus âgés que Ponette. Pourtant, cette différence d'âge est suffisante pour qu'ils aient perdu une parcelle infime de cette innocence et de cette liberté qui sont les caractéristiques de Ponette. Etonnés par son obsession, ils tentent de la détourner de ce qu'ils jugent comme une absurdité. Ils sont déjà entrés dans le monde de la raison. «On a bien vissé, on peut pas sortir», dit Mathiaz en parlant de la mère de Ponette. Du haut de ses 5 ans, il sait que le désir de sa cousine est insensé.
Ada, la jeune juive «enfant de Dieu». C'est une initiée qui peut lui apprendre la manière de se faire entendre de Dieu. Plus âgée que Ponette, elle semble ravie de dispenser son savoir et son enseignement à cette néophyte. Pour celle-ci, Ada est l'initiatrice, celle qui lui permettra d'atteindre son objectif.
Le père de Ponette représente l'aspect rationnel des influences qu'elle reçoit. Après la spiritualité de sa tante, Ponette est brutalement plongée par son père dans la rationalité la plus froide. «T'es malade», lui dit-il quand il apprend que sa fille attend la visite de sa mère morte. Il ajoute ensuite : «Dieu, il y a longtemps qu'il parle plus aux vivants. Dieu, c'est pour les morts, c'est pas pour nous. Ta maman, elle avait pas peur de mourir, alors fous-lui la paix avec Dieu et Jésus». Pourtant, Ponette ne semble pas heurtée par cette brutalité de son père. Dans son innocence d'enfant, elle a perçu instinctivement que cette brutalité recouvrait une grande détresse, une grande souffrance et un besoin de fuir.
La mère n'apparaît que dans la scène finale. Gaie, grâcieuse (lumineuse Marie Trintignant), elle déboule près de sa fille, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. Et ça l'est pour Ponette, qui ne semble pas du tout surprise de cette «apparition». Elle l'a tant désirée. Très vite, sans éviter de rappeler qu'elle est bel et bien morte, elle aide, avec humour et gentillesse, sa fille à reprendre pied dans la vie : «Je déteste les enfant qui se plaignent. Pourquoi t'es vivante ? Pour avoir envie de tout (...) Je veux que tu me fasses une promesse. Je veux plus que tu pleures, que tu te plaignes tout le temps. Je ne veux pas d'une enfant triste. T'as peur de la vie ma fille ? (...) Non, la vie c'est pas trop fort pour ma fille». Ce que Ponette traduira, avec ses mots à elle par : «Elle m'a dit d'apprendre à être contente», ce que sa mère ne lui a jamais demandé. Mais, ayant parfaitement bien compris le message de sa mère, elle le traduit avec ses mots à elle. Sa mère est la merveilleuse réponse à la prière instante de Ponette, mais c'est également celle qui va «retourner» sa fille vers le monde, la réalité et la vie.
Ponette a la grâce, la détermination et la liberté des petits enfants. Comme eux, elle n'a pas encore appris à composer avec la vie. La mort, elle comprend ce que c'est, elle l'accepte, mais elle refuse d'admettre qu'elle ne pourra plus revoir sa mère. Son désir est ce qui la fait tenir Elle écoute les adultes comme les enfants, elle absorbe les informations contradictoires qu'elle reçoit, mais elle ne dévie pas de son objectif : revoir sa mère. Merveilleuse constance de l'enfant, perméable aux influences, mais ferme dans sa détermination. Elle reçoit ainsi des influences rationalistes (de son père) et des influences spiritualistes (de sa tante et d'Ada). Sans effort apparent, elle se fait sa propre conviction, portée par l'intensité de son désir. Elle est l'exemple de la phrase du Christ : «Laissez les petits enfants venir à moi, et ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent». «En vérité, je vous le dis, quiconque reçoit cet enfant en mon nom, me reçoit et quiconque me reçoit, reçoit Celui qui m'a envoyé».


THÈMES


Les rites initiatiques. Les enfants sont sensibles aux rites et aux signes. Ils en ont besoin pour se situer dans la vie. L'adulte aussi, mais notre époque a tendance à les évacuer, surtout ceux liés à la mort. Cette absence creuse un vide et ne permet pas de dépasser la souffrance. Alors l’enfant va combler cette absence et inventer ses propres signes, ses jeux, qui sont autant de rites initiatiques pour accéder à un état supérieur, à une connaissance. Ces jeux deviennent des rites sacrés.
La mort est le premier événement qui plonge l'enfant dans le mystère. Qu'est-ce que la mort pour un tout petit enfant ? La seule chose qu'il comprenne vraiment, c'est qu'il ne reverra jamais le mort. Mais qu'est-ce que cela veut dire pour lui, jamais ? Ponette a bien compris ce qu'on lui a expliqué. Sa maman est au ciel, près de Dieu. Mais cette impossibilité de revoir sa mère,elle ne veut pas l'accepter, parce que c'est inacceptable pour une enfant.
Le désir. Cette œuvre parle surtout du désir. De ce désir plus fort que tout, plus fort que les adultes et leur raison réductrice, plus fort que la réalité. Ponette est animée d'un tel désir que rien ne pourra l'en éloigner. Merveille de l'esprit d'enfance qui, envers et contre tout, maintient le cap de son désir. Sans le savoir, elle illustre la parole du Christ : «Demandez et vous recevrez». Aucun obstacle, aucune épreuve ne peut la détourner de son chemin, de son ardente prière : revoir sa mère. Parce que sa tante lui a expliqué que sa mère allait ressusciter, mais plus tard, on ne sait pas quand, elle ne demande pas la resurrection de sa mère, elle demande simplement à la revoir. Et cela, elle estime qu'elle y a droit et qu'il n'y a aucune raison pour que Dieu n'accède pas à cette demande. Cette puissance du désir qui la pousse en avant, c'est précisément ce que les adultes apprennent à affadir, à oublier. Parce que la réalité est là, avec ses conventions, le respect humain et tout ce qui entrave l'homme, l'adulte a appris très jeune à composer, à se compromettre. Pas Ponette. Elle conserve l'innocence et la pureté de l'enfance, elle conserve intacte l'intensité de son désir.
Le créateur. Jacques Doillon a avoué qu'il avait imaginé la scène finale, dans laquelle Ponette voit enfin sa mère, uniquement parce que «quand un enfant continue à réclamer sa mère avec cette très belle obstination, artistiquement, humainement, je n'ai pas le choix, je ne peux faire autre chose que lui rendre sa mère» (Le Figaro du 25/9/96). Merveilleuse convergence entre le créateur et père de son personnage, et le Créateur et Père de l'humanité. «Quel est parmi vous le père qui, si son fils lui demande du pain, lui donne une pierre ? (...) Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner à vos enfants de bonnes choses, combien plus votre Père céleste donnera-t-il l'Esprit saint à ceux qui Le lui demandent ?». En cela aussi, l'artiste est à l'image du Créateur, du Père. Comme Lui, il est désarmé par l'ardeur du désir de son enfant.
Après le désir, c'est la liberté de l'enfant qui est au cœur de ce film. Libre, Ponette l'est dans la permanence de son désir. Mais cette liberté ne signifie pas fermeture aux influences extérieures. Au contraire, tout au long du film, elle reçoit et absorbe toutes les informations, souvent contradictoires, des autres, avec beaucoup d'attention et de sérieux. Cela lui permet de réfléchir, d'infléchir sa route, mais jamais de changer son cap. Lorsqu'elle comprend que sa mère ne peut pas ressusciter tout de suite, elle se contente de lui demander de revenir. Ensuite, sa cousine lui explique que c'est Dieu qui décide. Ponette cesse alors d'appeler sa mère pour se tourner vers Dieu. Ada lui dit qu'il faut qu'elle se soumette à des épreuves, si elle veut être entendue de Dieu. Elle s'y soumet avec une grande application. Toujours elle conserve son objectif. Seules les manières de l'atteindre vont changer, en fonction des informations qu'elle reçoit.

Film correspondant: